[Agrivoltaïsme] Suspension du refus du maire de délivrer un permis de construire pour quatorze abris à volailles avec toiture photovoltaïque 

Par une ordon­nance du 25 juil­let 2023, le juge des référés du tri­bunal admin­is­tratif de Rennes (JRTA) a ordon­né la sus­pen­sion de l’ar­rêté par lequel le maire de Rémini­ac (56) avait refusé de délivr­er un per­mis de con­stru­ire pour la réal­i­sa­tion de qua­torze abris à volailles avec toi­ture pho­to­voltaïque (TA Rennes, 25 juil­let 2023, no 2303539).

Contexte

Une EARL (exploita­tion agri­cole à respon­s­abil­ité lim­itée) exploite un éle­vage de 18 000 poules pon­deuses de plein air, sur un par­cours d’environ sept hectares, à Rémini­ac dans le Mor­bi­han (56).

En mars 2023, la société Novafrance Ener­gy, spé­cial­isée dans l’agrivoltaïsme, a déposé une demande de per­mis de con­stru­ire en vue d’implanter qua­torze abris à volailles avec toi­tures pho­to­voltaïques d’environ 250 m2 cha­cun, au sein du par­cours en plein air des ani­maux.

Le maire ayant refusé de délivr­er le per­mis de con­stru­ire sol­lic­ité pour ce pro­jet, la société Novafrance Ener­gy et l’EARL deman­dent au JRTA de sus­pendre l’ar­rêté de refus.

1. Sur l’urgence à suspendre le refus du maire de délivrer le permis de construire

Pour mémoire, en référé-sus­pen­sion, l’urgence à sus­pendre un acte admin­is­tratif est car­ac­térisée lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suff­isam­ment grave et immé­di­ate, à un intérêt pub­lic, à la sit­u­a­tion du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre.

En l’e­spèce, con­cer­nant la société Novafrance Ener­gy, le juge relève que :

  • la société pro­pose aux éleveurs de plein air de se charg­er de la mise en place, sur les par­cours de volailles, d’abris arti­fi­ciels, dotés de pan­neaux pho­to­voltaïques, et d’abris naturels, afin de réduire les attaques des pré­da­teurs aériens et de pro­téger la volaille des intem­péries et des fortes chaleurs ;
  • ces abris à volailles sont inté­grale­ment financés par cette société grâce à la vente de l’électricité pro­duite ;
  • depuis plusieurs mois, les maires des com­munes du Mor­bi­han dans lesquelles elle a déposé des deman­des de per­mis de con­stru­ire lui ont sys­té­ma­tique­ment opposé des déci­sions de refus, au seul motif de l’absence de néces­sité du pro­jet à l’activité agri­cole (alors que les vingt deman­des de per­mis de con­stru­ire déposées dans le départe­ment des Côtes‑d’Armor ont été accordées) ;
  • ce motif de refus, « dont les effets dépassent dans leur ampleur le seul pro­jet envis­agé à Rémini­ac, a pour effet de ren­dre impos­si­ble le développe­ment de son activ­ité, alliant agro­foresterie et pho­to­voltaïque, et nuit à la pour­suite de son mod­èle d’affaire, basé sur ce con­cept inno­vant pour lequel elle a recruté plus de dix salariés en douze mois ».

Con­cer­nant l’EARL, le juge des référés relève que :

  • le refus de délivr­er le per­mis de con­stru­ire a pour effet de faire obsta­cle à la mise en con­for­mité de l’élevage de volailles avec la régle­men­ta­tion européenne et nationale, et l’ex­ploitant agri­cole est dans l’impos­si­bil­ité de financer de tels abris, compte tenu des charges actuelles de son exploita­tion ;
  • le fait de renon­cer à la mise en place d’abris sur son par­cours de plein air, ou de dif­fér­er ce pro­jet, compte tenu des délais néces­saires pour la réal­i­sa­tion des abris envis­agés, expose l’ex­ploitant agri­cole à des pertes de volailles en rai­son de la mor­tal­ité due au stress ther­mique et aux attaques de pré­da­teurs aériens.

Le juge des référés con­clut que le refus du maire de délivr­er le per­mis de con­stru­ire doit être regardé comme préju­di­ciant de manière suff­isam­ment grave et immé­di­ate tant aux intérêts économiques de la société Novafrance Ener­gy qu’à ceux de l’exploitation de l’EARL pour que la con­di­tion d’urgence soit con­sid­érée comme sat­is­faite.

2. Sur le doute sérieux affectant le refus du maire de délivrer le permis de construire

Pour refuser le délivr­er le per­mis de con­stru­ire, le maire a con­sid­éré que :

  • le dossier déposé ne per­me­t­tait pas de jus­ti­fi­er du rat­tache­ment et de la néces­sité du pro­jet au regard de l’exploitation agri­cole ;
  • que le pro­jet est sus­cep­ti­ble de porter atteinte à l’environnement paysager exis­tant.

2.1. Conformité aux règles d’urbanisme

La com­mune d’im­plan­ta­tion du pro­jet est cou­verte par une carte com­mu­nale. Pour mémoire, dans les secteurs où les con­struc­tions ne sont pas admis­es, le maire peut autoris­er, par excep­tion, des con­struc­tions et instal­la­tions néces­saires “à l’exploitation agri­cole ou forestière, à la trans­for­ma­tion, au con­di­tion­nement et à la com­mer­cial­i­sa­tion des pro­duits agri­coles lorsque ces activ­ités con­stituent le pro­longe­ment de l’acte de pro­duc­tion” lorsqu’elles “ne sont pas incom­pat­i­bles avec l’exercice d’une activ­ité agri­cole, pas­torale ou forestière sur le ter­rain sur lequel elles sont implan­tées” (L. 161–4, I., 2° du code de l’ur­ban­isme).

Pour mémoire, le Con­seil d’État avait jugé, en 2019, que « la cir­con­stance que des con­struc­tions et instal­la­tions à usage agri­cole puis­sent aus­si servir à d’autres activ­ités, notam­ment de pro­duc­tion d’énergie, n’est pas de nature à leur retir­er le car­ac­tère de con­struc­tions ou instal­la­tions néces­saires à l’exploitation agri­cole au sens des dis­po­si­tions précédem­ment citées, dès lors que ces autres activ­ités ne remet­tent pas en cause la des­ti­na­tion agri­cole avérée des con­struc­tions et instal­la­tions en cause » (CE, 12 juil­let 2019, no 422542, con­cl. L. Dutheil­let de Lamothe).

Depuis la loi APER du 10 mars 2023, le code de l’ur­ban­isme prévoit expressé­ment que l’installation de pan­neaux pho­to­voltaïques sur les ser­res, hangars et ombrières à usage agri­cole doit cor­re­spon­dre à une néces­sité liée à l’exer­ci­ce effec­tif d’une activ­ité agri­cole, pas­torale ou forestière sig­ni­fica­tive (L. 111–28 du code de l’urbanisme). L’objectif de ces dis­po­si­tions est de faire « primer le pro­jet agri­cole sur le pro­jet énergé­tique » et « de s’assurer que des bâti­ments inutiles voire nuis­i­bles à l’activité agri­coles ne seront pas con­stru­its unique­ment pour sup­port­er des pan­neaux pho­to­voltaïques, et donc d’éviter les nom­breux pro­jets “ali­bis” notam­ment sous serre »1.

Par ailleurs, le juge souligne que deux arrêtés min­istériels imposent la mise en place d’abris con­tre les intem­péries et les pré­da­teurs pour les poules pon­deuses ayant accès aux espaces extérieurs2.

En l’e­spèce, le juge relève que les abris à volailles en pro­jet doivent per­me­t­tre aux poules d’obtenir un ombrage sub­stantiel et d’être moins exposées aux pré­da­teurs aériens naturels (cor­beaux, rapaces, ).

Il en déduit que ces abris répon­dent directe­ment aux objec­tifs fixés par la régle­men­ta­tion applic­a­ble aux poules ayant accès l’ex­térieur, et qu’il ne saurait donc être sérieuse­ment con­testé qu’ils ont une des­ti­na­tion prin­ci­pale­ment agri­cole, peu impor­tant que les toi­tures de ces abris seraient recou­vertes par des pan­neaux pho­to­voltaïques des­tinés à pro­duire de l’électricité.

En con­clu­sion, le juge con­sid­ère qu’il existe un doute sérieux quant à la légal­ité de l’arrêté con­testé.

2.2. Atteinte au paysage

Le juge des référés con­sid­ère, sans plus de pré­ci­sions, que “le moyen tiré de ce que le maire de Rémini­ac aurait com­mis une erreur de droit en con­sid­érant que les abris envis­agés sont de nature à créer un effet de mitage et à porter atteinte à la sauve­g­arde des espaces naturels et paysages exis­tants, et mécon­nais­sent donc les dis­po­si­tions de l’article R. 111–27 du code de l’urbanisme, est égale­ment pro­pre à créer un doute sérieux quant à la légal­ité de la déci­sion con­testée”.

En défini­tive, le juge des référés ordonne la sus­pen­sion de l’ar­rêté refu­sant la délivrance du per­mis de con­stru­ire, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légal­ité .

Les effets juridiques de la sus­pen­sion d’un refus de per­mis de con­stru­ire sont lim­ités, mais en fonc­tion de la moti­va­tion retenue par le juge des référés, cela peut con­duire l’au­torité com­pé­tente en matière d’ur­ban­isme à délivr­er le per­mis sol­lic­ité sans atten­dre que le juge stat­ue au fond.


1. Lien vers l’a­mende­ment.

2. L’arrêté min­istériel du 25 octo­bre 1982 relatif à l’élevage, la garde et à la déten­tion des ani­maux prévoit que : « Les ani­maux non gardés dans des bâti­ments sont, dans la mesure où cela est néces­saire et pos­si­ble, pro­tégés con­tre les intem­péries et les pré­da­teurs. Toutes les mesures sont pris­es pour min­imiser les risques d’atteinte à leur san­té ».

L’arrêté min­istériel du 1er févri­er 2002 étab­lis­sant les normes min­i­males rel­a­tives à la pro­tec­tion des poules pon­deuses prévoit que dans les sys­tèmes d’élevage où les poules pon­deuses ont accès à des espaces extérieurs, ceux-ci doivent notam­ment être pourvus d’abris con­tre les intem­péries et les pré­da­teurs et d’abreuvoirs appro­priés.


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