[Éolien & Espèces protégées] Première application de la présomption de RIIPM instaurée par la loi APER du 10 mars 2023
Deux particuliers et une association (LPO) demandaient à la CAA de Nancy d’annuler une autorisation unique pour un parc éolien de quatre machines représentant une puissance installée de 18 MW. Cette autorisation tenait notamment lieu de dérogation espèces protégées (DEP) au titre de l’article L. 411–2 du code de l’environnement (CAA Nancy, 16 novembre 2023, no 20NC02164).
La DEP faisait l’objet de nombreuses critiques de la part des requérants, dont certaines ont été retenues par le juge, entraînant l’illégalité de l’autorisation (points 1 et 2). Bien qu’en principe, l’illégalité d’une DEP est un vice régularisable au sens de l’article L. 181‑18 du code de l’environnement, la Cour refuse ici de faire droit à cette demande compte tenu des nombreux autres vices affectant l’autorisation unique (point 3).
1. Les illégalités retenues par la Cour
↬ Régularité du dossier de demande de DEP : selon la Cour, le dossier de demande de dérogation méconnaissait l’article 2 de l’arrêté du 19 février 2007 puisqu’il n’identifiait pas précisément les espèces concernées par la demande de DEP, mais se bornait à citer « en annexes toutes les espèces protégées animales répertoriées dans la zone d’étude sans préciser les espèces sur lesquelles l’impact a été mesuré comme significatif après application des mesures de réduction et d’évitement et pour lesquelles, le pétitionnaire sollicite une dérogation ».
↬ Régularité de l’arrêté préfectoral tenant lieu de DEP : la dérogation autorisait notamment la destruction de spécimens d’espèces animales visées dans la demande de dérogation, sans plus de précision1. Pour la Cour, « une dérogation étant d’interprétation stricte, l’arrêté est entaché d’imprécision ».
↬ Absence de maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : la Cour considère que les mesures ERC reposent sur un « système d’effarouchement et de détection dont l’efficacité n’est pas prouvée, sur la suppression de quatre éoliennes dont l’impact n’a pas été précisément mesuré, sur un bridage des éoliennes restantes en période de fenaison dans un périmètre et pour une durée insuffisants et sur des mesures compensatoires qui tiennent au bon vouloir d’exploitants agricoles, ne permettent pas de réduire l’impact résiduel à un seuil non significatif et demeurent ainsi insuffisantes pour maintenir dans un bon état de conservation deux espèces protégées, vulnérable et en état critique, le milan royal et la pie grièche grise dont la population est en diminution constante et dont la présence et la protection dans le département du Doubs présentent un intérêt majeur pour la conservation de ces espèces ». Elle en déduit que la condition prévue par l’article L. 411–2 du code de l’environnement n’est pas vérifiée.
2. Les illégalités écartées par la Cour
↬ Portée de la dérogation : contrairement à ce que soutenaient les requérants, la Cour estime qu’il n’y avait pas lieu de formuler une demande de dérogation pour mettre en œuvre un système d’effarouchement dont il n’était pas établi qu’il perturberait l’avifaune nicheuse.
↬ Motivation de l’arrêté préfectoral tenant lieu de DEP : la Cour indique que les textes imposent à l’administration « d’énoncer dans sa décision les éléments de droit et de fait qui la conduisent à l’accorder, de sorte que les motifs de la décision en soient connus à sa seule lecture. Toutefois, ces dispositions n’impliquent ni que l’administration prenne explicitement parti sur le respect par le projet qui lui est soumis de chacune des règles dont il lui appartient d’assurer le contrôle ni qu’elle retrace dans la motivation de sa décision les étapes de la procédure préalable à son édiction. ». En l’espèce, la Cour considère que les trois conditions requises pour la délivrance d’une DEP sont bien mentionnées dans l’arrêté préfectoral, qui est donc suffisamment motivé.
↬ Présomption de RIIPM : la Cour retient que le projet contribue à l’atteinte des objectifs fixés par le schéma régional éolien et qu’il bénéficie d’une présomption de RIIPM en application du nouvel article L. 411–2‑1 du code de l’environnement, créé par la loi APER du 30 mars 2023.
Cette solution appelle plusieurs observations :
- À notre sens, le régime présomptif instauré par l’article L. 411–1‑2 du code de l’environnement n’était pas, à la date de l’arrêt de la Cour, entré en vigueur étant donné que les décrets d’application n’ont pas encore été publiés au Journal officiel ;
- Pour autant, on soulignera que le projet de décret soumis à la consultation du public fixe un seuil de 9 MW pour les installations éoliennes ;
- Indépendamment des textes nationaux, on peut considérer que le projet bénéficie d’une telle présomption en application du règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un cadre en vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables, publié au JOUE le 22 décembre 2022.
Enfin, la Cour précise que « si les requérants soutiennent que le parc éolien ne contribuerait que modestement à cet objectif par une capacité de production de 18 MW correspondant à l’approvisionnement de 6 000 foyers et dont, en outre, l’estimation prévisionnelle de production annuelle ne prend pas en compte le plan de bridage et de mise à l’arrêt des éoliennes, alors que le département du Doubs dispose déjà d’un parc de soixante-douze éoliennes pouvant produire 192 MW, ces éléments ne sont toutefois pas suffisants pour renverser cette présomption ».
3. Pas de régularisation de l’autorisation compte tenu de l’ampleur des vices affectant l’autorisation
Malgré le caractère régularisable, en principe, d’une dérogation illégale incluse dans une autorisation environnementale, la Cour refuse de faire droit à la demande de régularisation compte tenu de l’importance des vices affectant l’autorisation :
« compte-tenu des circonstances particulières de l’espèce et de la nécessité de soumettre de nouveau à enquête publique la présentation des capacités financières de la société exploitante et l’étude d’impact, insuffisante et éparse, qui impliquera nécessairement une nouvelle saisine de la MRAE et de l’inspection des installations classées ainsi que de l’obligation de présenter une nouvelle demande de dérogation devant répondre aux conditions de l’arrêté du 19 février 2017 et dont les modalités devront permettre d’assurer le maintien dans un état de conservation favorable des espèces protégées qui seront correctement identifiées et qui conduira également à saisir à nouveau le CNPN, ces vices qui affectent l’ensemble des phases de délivrance de l’autorisation unique, sont d’une importance telle qu’ils ne peuvent faire l’objet de la régularisation en application de l’article L. 181–18 du code de l’environnement dans un délai plus raisonnable que la présentation d’un nouveau dossier de demande d’autorisation. Par suite, la demande de régularisation présentée par l’État est rejetée ».
En définitive, l’autorisation unique est annulée.
1. Outre les deux espèces pour lesquelles la DEP était spécifiquement délivrée, à savoir le Milan royal et la Pie grièche grise.