[Pénal de l’environnement] Les terres agricoles ne constituent ni un lieu à usage professionnel, ni un domicile au sens de l’article L. 172–5 du code de l’environnement
Par une décision rendue le 16 janvier dernier, la Cour de cassation a jugé que la constatation d’infractions environnementales sur des terres agricoles n’était pas soumise à une information préalable du procureur de la République ni à l’assentiment de l’occupant dans la mesure où ces terres agricoles ne constituent pas un « un établissement, local ou installation professionnels » ni un « domicile » au sens de l’article L. 172–5 du code de l’environnement (Cass. crim., 16 janv. 2024, no 22–81.559).
1. Contexte et procédure
Dans cette affaire, un agriculteur avait effectué des opérations de gyrobroyage sur son exploitation qui avaient conduit à la destruction de spécimens de Tortues d’Hermann, une espèce figurant sur la liste des amphibiens et reptiles protégés sur l’ensemble du territoire1.
Lors d’un contrôle, les agents de l’Agence française de la biodiversité (AFB), depuis remplacée par l’Office français de la biodiversité (OFB), avaient dressé plusieurs procès-verbaux constatant ces destructions.
L’agriculteur avait alors été poursuivi devant le tribunal correctionnel et déclaré coupable de destruction non autorisée et mutilation d’espèce animale non domestique protégée ainsi que pour altération ou dégradation non autorisée de son habitat2. Le prévenu, le ministère public et une partie civile avaient relevé appel de cette décision.
Par un arrêt du 12 janvier 2022, la Cour d’appel de Bastia avait confirmé le jugement de première instance et avait condamné l’agriculteur à une peine de 2 mois d’emprisonnement avec sursis probatoire et à une peine d’amende de 35 000 euros.
L’agriculteur avait alors formé un pourvoi en cassation : il invoquait notamment la nullité des procès-verbaux de constatations établis par les agents de l’AFB.
2. Pour la Cour de cassation, les terres agricoles ne constituent ni un “lieu professionnel” ni un “domicile” au sens de l’article L. 172- 5 du code de l’environnement
Le demandeur au pourvoi soutenait notamment que les procès-verbaux avaient été établis en violation de l’article L. 172–5 du code de l’environnement dans la mesure où les agents avaient pénétré sur son exploitation « entièrement close et raccordée à l’eau courante » sans en avoir préalablement informé le procureur de la République, ni obtenu son assentiment en tant que preneur à bail des parcelles.
Pour mémoire, l’article L. 172–5 du code de l’environnement précise les conditions dans lesquelles les agents de l’OFB peuvent rechercher les infractions au code de l’environnement. Plus précisément, cet article les autorise à rechercher et constater les infractions « en quelque lieu qu’elles soient commises » et prévoit que :
- l’accès aux « établissements, locaux professionnels et installations dans lesquels sont réalisées des activités de production, de fabrication, de transformation, d’utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation » peut être réalisé après information préalable du procureur de la République ;
- les visites ayant lieu « dans les domiciles et les locaux comportant des parties à usage d’habitation » doivent recueillir l’assentiment de l’occupant ou, à défaut, être réalisés en présence d’un officier de police judiciaire.
En l’espèce, le demandeur au pourvoi indiquait que ses terres agricoles étaient « entièrement closes et raccordées à l’eau courante » et semblait soutenir que celles-ci constituaient à la fois un lieu professionnel et son domicile ; les visites auraient donc dû respecter les obligations précitées.
La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel de Bastia : les terres destinées à l’élevage ne constituent, au sens de l’article L. 172- 5 du code de l’environnement, ni un établissement, local ou installation professionnels (y compris si les terres sont closes), ni un domicile.
Elle renvoie également aux justifications de la Cour d’appel qui considérait que la protection offerte par l’article L. 175–2 du code de l’environnement ne s’étendait pas à tout lieu à usage professionnel mais seulement aux établissements, locaux professionnels et installations dans lesquels sont réalisées des activités de production, de fabrication, de transformation, d’utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation et que la seule circonstance qu’un terrain agricole est clos et raccordé à l’eau courante ne suffisait pas à lui conférer le caractère d’un domicile .
Après avoir écarté l’ensemble des branches du moyen, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Observation : cette décision s’inscrit dans un contexte de contrôle accru du respect de la législation espèces protégées dans le milieu agricole / forestier pouvant donner lieu à des condamnations pénales (voir, par exemple, notre commentaire à propos des arrachages de haies, de respect de la législation sur les espèces protégées en milieu viticole ou T. corr. Angers, 22 août 2023, n° 20287000071).
1. Arrêté du 8 janvier 2021 fixant la liste des amphibiens et des reptiles représentés sur le territoire métropolitain protégés sur l’ensemble du territoire national et les modalités de leur protection.
2. Pour rappel, le fait de porter atteinte à la conservation d’espèces protégées et à conservation de leur habitats naturels est constitutif d’un délit réprimé par l’article L. 415–3 du code de l’environnement (trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende).
Crédits photographiques : Michaela Wenzler