Référé-liberté en matière environnementale : synthèse des ordonnances rendues depuis le 20 septembre 2022

Alignement d'arbres le long d'une route

La déci­sion du Con­seil d’État ren­due le 19 avril dernier con­cer­nant la demande de sus­pen­sion des opéra­tions d’a­battage d’arbres au droit du tracé de la future autoroute A69 (Toulouse-Cas­tres) est l’occasion de faire le point sur l’effec­tiv­ité du recours au référé-lib­erté en matière envi­ron­nemen­tale (CE, 19 avril 2023, n° 472633).

Pour mémoire, par une ordon­nance du 20 sep­tem­bre 2022, le Con­seil d’État a élar­gi le champ du référé lib­erté en recon­nais­sant (enfin) que le droit de cha­cun de vivre dans un envi­ron­nement équili­bré et respectueux de la san­té, tel que proclamé par l’ar­ti­cle pre­mier de la Charte de l’en­vi­ron­nement, est une lib­erté fon­da­men­tale au sens de l’ar­ti­cle L. 521–2 du code de jus­tice admin­is­tra­tive (CE, 20 sep­tem­bre 2022, n° 451129 ; voir égale­ment, la déci­sion “Tekni­val” restée let­tre morte de nom­breuses années : TA Châlons-en-Cham­pagne, 29 avril 2005, nos 0500828, 0500829, 0500830).

À cette occa­sion, le Con­seil d’État a posé les critères suiv­ants :

  • Con­cer­nant la con­di­tion de l’urgence, le requérant doit « faire état de cir­con­stances par­ti­c­ulières car­ac­térisant la néces­sité pour lui de béné­fici­er [dans un délai de 48 heures] d’une mesure de néces­saire à la sauve­g­arde d’une lib­erté fon­da­men­tale » ;
  • Con­cer­nant l’atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de vivre dans un envi­ron­nement équili­bré et respectueux de la san­té, le requérant doit « jus­ti­fi­er, au regard de sa sit­u­a­tion per­son­nelle, notam­ment si ses con­di­tions ou son cadre de vie sont grave­ment et directe­ment affec­tés, ou des intérêts qu’il entend défendre, qu’il y est porté une atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale du fait de l’ac­tion ou de la carence de l’au­torité publique. ».

La Haute juri­dic­tion a égale­ment pré­cisé qu’en rai­son “du cadre tem­porel dans lequel se prononce le juge des référés [lib­erté], les mesures qu’il peut ordon­ner doivent s’ap­préci­er en ten­ant compte des moyens dont dis­pose l’au­torité admin­is­tra­tive com­pé­tente et des mesures qu’elle a déjà pris­es.”.

En pra­tique, nous recom­man­dons d’analyser en détail les élé­ments du dossier avant d’in­tro­duire un référé-lib­erté qui serait voué à l’échec, compte tenu de l’ap­pré­ci­a­tion de l’ur­gence, tan­dis qu’un référé-sus­pen­sion aurait de nettes chances de suc­cès.

Synthèse

Une dizaine d’or­don­nances ont depuis été ren­dues, don­nant majori­taire­ment lieu à des rejets pour défaut d’urgence (à l’exception d’une affaire con­cer­nant un défriche­ment et les espèces pro­tégées, cf. infra : TA Pau, 10 novem­bre 2022 n° 2202449).

Le tableau ci-après recense l’ensem­ble des ordon­nances pub­liées et dresse un pre­mier panora­ma des argu­ments retenus ou écartés par le juge des référés.

Déci­sionObjet de la demandeSur l’urgenceSur l’atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de vivre dans un envi­ron­nement équili­bré et respectueux de la san­té
Déci­sion de principe
CE,
20/09/2022
n° 451129
 
(Rejet)
Sus­pen­sion des opéra­tions de recal­i­brage d’une route départe­men­tale et créa­tion d’une voie cyclableLa con­di­tion d’urgence n’est pas sat­is­faite :
Les travaux litigieux ont don­né lieu à une déc­la­ra­tion au titre de la loi sur l’eau et à une autori­sa­tion de défriche­ment, que les requérants n’ont pas con­testées en temps utile.
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TA Mar­seille
05/10/2022
n° 2208000
 
(Rejet)
 
 
Sus­pen­sion des effets de l’arrêté por­tant déro­ga­tion espèces pro­tégées (parc pho­to­voltaïque)-L’atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de vivre dans un envi­ron­nement sain et respectueux de la san­té n’est pas car­ac­térisée : en se bor­nant à faire val­oir une atteinte à la faune et la flo­re pro­tégées, l’as­so­ci­a­tion requérante n’établit pas l’at­teinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de vivre dans un envi­ron­nement équili­bré et respectueux de la san­té.
TA Lille
14/10/2022
n° 2207659
 
(Rejet)
Demande d’ordonner des cam­pagnes de dépistage, d’information, d’investigation et de sig­nale­ment rel­a­tive à une pol­lu­tion au plomb et au risque de sat­ur­nismeLa con­di­tion d’urgence n’est pas sat­is­faite :
au regard de l’ensemble des actions déjà mis­es en œuvre par la pré­fec­ture, l’ARS et l’ADEME, les requérants ne jus­ti­fient pas de l’urgence à ordon­ner les mesures qu’ils sol­lici­tent.
L’atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de vivre dans un envi­ron­nement sain et respectueux de la san­té n’est pas car­ac­térisée :
les mesures sol­lic­itées, eu égard à leur objet, ne sont pas au nom­bre des mesures d’urgence que la sit­u­a­tion per­met de pren­dre utile­ment pour remédi­er à l’atteinte alléguée au droit de cha­cun de vivre dans un envi­ron­nement équili­bré et respectueux de la san­té.
TA Pau
10/11/2022 n° 2202449
 
(sus­pen­sion dans l’at­tente de la
déci­sion sur la néces­sité de dépos­er
une demande de déro­ga­tion aux espèces pro­tégées)
Sus­pen­sion d’un pro­jet de défriche­ment (pro­jet d’aménagement d’un domaine sur 10 hectares de par­celles boisées – autori­sa­tions d’urbanismes et de défich­er)La con­di­tion d’urgence est sat­is­faite :
1. L’association requérante n’a eu con­nais­sance de l’autorisation de défriche­ment que postérieure­ment à l’affichage de l’arrêté de com­mence­ment des travaux et de la mar­ca­tion des arbres à abat­tre.
2. L’association requérante sou­tient que le défriche­ment pro­jeté porte une atteinte grave et irréversible aux espèces pro­tégées et à la destruc­tion de l’habi­tat d’in­térêt com­mu­nau­taire d’au­tant que l’exé­cu­tion de la mesure attaquée sur une sur­face aus­si réduite pour­rait être totale­ment réal­isée en une journée. 
3. Il est con­stant, tel que cela résulte notam­ment des échanges à l’au­di­ence, qu’une instruc­tion sup­plé­men­taire par le péti­tion­naire est néces­saire en vue d’une éventuelle demande de déro­ga­tion aux espèces pro­tégées telle qu’elle résulte des dis­po­si­tions des arti­cles L. 411–1 et L. 411–2 du code de l’en­vi­ron­nement.
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TA Greno­ble
18/11/2022 n° 2207465
 
(Rejet)
Sus­pen­sion des opéra­tions de défriche­ment-L’atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de vivre dans un envi­ron­nement sain et respectueux de la san­té n’est pas car­ac­térisée :
1. Les par­celles con­cernées par l’autorisation de défriche­ment sont éloignées de toute habi­ta­tion de la com­mune requérante
2. La com­mune requérante ne peut être regardée comme jus­ti­fi­ant que les opéra­tions de défriche­ment affectent grave­ment et directe­ment les con­di­tions ou le cadre de vie de ses habi­tants ou les intérêts qu’elle entend défendre.
TA Melun
15/12/2022 n° 2211700
 
(Rejet)
Sus­pen­sion des travaux de défriche­ment (pour la con­struc­tion d’un ensem­ble immo­bili­er autorisé par un per­mis de con­stru­ire – boise­ments non soumis à autori­sa­tion de défriche­ment car de moins de 30 ans)-L’atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de vivre dans un envi­ron­nement sain et respectueux de la san­té n’est pas car­ac­térisée :
1. Les requérants ne démon­trent pas l’existence d’une faune diver­si­fiée et d’un écosys­tème riche com­posé d’espèces pro­tégées.
2. Le bois en cause est en zone con­structible.
3. Le fait de vivre à prox­im­ité immé­di­ate de l’ensemble immo­bili­er pro­jeté ne porte pas atteinte à l’équilibre de leur envi­ron­nement ou à l’intégrité de leur san­té.
TA Bor­deaux
18/01/2023
n° 2300254
 
(Rejet)
Sus­pen­sion de la déci­sion de rem­blay­er un bassin tam­pon dénom­mé « la grande maline », situé en zone rouge du PPRSMLa con­di­tion d’urgence n’est pas sat­is­faite :
les requérants n’apportent aucun com­mence­ment de preuve des risques pour la sécu­rité publique et pour l’en­vi­ron­nement.
L’atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de vivre dans un envi­ron­nement sain et respectueux de la san­té n’est pas car­ac­térisée :
les requérants ne démon­trent pas que le comble­ment du trou d’eau serait sus­cep­ti­ble de porter à leurs con­di­tions ou à leur cadre de vie une atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale.
TA Bor­deaux
23/01/2023
n° 2300283
 
(Rejet)
 
Sus­pen­sion de la déci­sion de rem­blay­er un bassin tam­pon dénom­mé « la grande maline », situé en zone rouge du PPRSM-L’atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de vivre dans un envi­ron­nement sain et respectueux de la san­té n’est pas car­ac­térisée dans la mesure où l’éloignement de cer­taines espèces pro­tégées occu­pant le site du pro­jet vers d’autres espaces du Bassin d’Arcachon prop­ice au peu­ple­ment et à la con­ser­va­tion ornithologique ne saurait être regardée comme por­tant aux con­di­tions ou au cadre de vie des requérants une atteinte grave pou­vant affecter leur droit à vivre dans un envi­ron­nement équili­bré et respectueux de leur san­té.
TA Nantes
24/03/2023 n° 2303964
  
(Rejet)
Demande d’injonction de procéder à la réqui­si­tion d’a­gents de Nantes métro­pole pour per­me­t­tre la con­ti­nu­ité du
ser­vice pub­lic d’élim­i­na­tion des ordures dans le ressort de la com­mune de Nantes
La con­di­tion d’urgence n’est pas sat­is­faite :
Des opéra­tions ponctuelles et de ramas­sage des ordures ménagère ont eu lieu depuis la sai­sine du TA
Pour désagréable qu’elle puisse être, la sit­u­a­tion ren­con­trée par le requérant, tant en sa qual­ité d’ex­ploitant d’un restau­rant, que du point de vue per­son­nel (stock­age mas­sif des déchets) et famil­ial (femme atteinte d’un can­cer), ne suf­fit pas à car­ac­téris­er l’ex­is­tence de la con­di­tion d’ur­gence exigée par l’ar­ti­cle L. 521–2 du code de jus­tice admin­is­tra­tive ;
L’atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de vivre dans un envi­ron­nement sain et respectueux de la san­té n’est pas car­ac­térisée :
Le requérant ne jus­ti­fie pas que ses con­di­tions de vie ou ses intérêts seraient grave­ment et directe­ment affec­tés par le stock­age mas­sif sur sites des déchets amenés à être col­lec­tés. Ain­si, si le requérant invoque, au titre d’une lib­erté fon­da­men­tale, le droit à un envi­ron­nement sain, il ne résulte pas de l’in­struc­tion qu’il y serait porté, par la carence alléguée dans l’ex­er­ci­ce d’un des pou­voirs que déti­en­nent les autorités admin­is­tra­tives, une atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale.
TA Toulouse
24/03/2023
n° 2301521
  
(Rejet)
Sus­pen­sion des opéra­tions d’a­battage sur les aligne­ments d’ar­bres au droit du tracé de la future A69 et sur le ter­ri­toire de la com­mune de Ven­dineLa con­di­tion d’urgence n’est pas sat­is­faite :
il ne résulte pas de l’in­struc­tion, qu’à l’ex­cep­tion des arbres situés sur le ter­ri­toire de la com­mune de Ven­dine, d’autres opéra­tions d’a­battage auraient com­mencé ou seraient prévues dans un bref délai jus­ti­fi­ant la sai­sine du juge des référés sur le fonde­ment de l’ar­ti­cle L. 521–2 du code de jus­tice admin­is­tra­tive
L’atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de vivre dans un envi­ron­nement sain et respectueux de la san­té n’est pas car­ac­térisée :
1. Le pro­jet autorisé par autori­sa­tion envi­ron­nemen­tal tient lieu d’autorisation de porter atteinte aux aligne­ments d’arbres prévue à l’article L. 350–3 du code de l’environnement.
2. Il n’est pas établi que les mesures com­pen­satoires mis­es en œuvre du fait des abattages présen­teraient un car­ac­tère insuff­isant.
3. Ain­si, les opéra­tions d’a­battage d’ar­bres pro­gram­mées dans le cadre de l’autorisation envi­ron­nemen­tale ne présen­tent pas un car­ac­tère man­i­feste­ment illé­gal et ne sauraient être regardées comme con­sti­tu­ant une atteinte grave et man­i­feste­ment illé­gale au droit de cha­cun de vivre dans un envi­ron­nement équili­bré et respectueux de la san­té.
CE
19/04/2023
n° 472633
 
(Rejet)
Sus­pen­sion des opéra­tions d’a­battage sur les aligne­ments d’ar­bres au droit du tracé de la future A69 et sur le ter­ri­toire de la com­mune de Ven­dineLa con­di­tion d’urgence n’est pas sat­is­faite :
1. Une inter­rup­tion péri­odique des déboise­ments est prévue comme mesure de réduc­tion dans l’autorisation envi­ron­nemen­tale.
2. Ne peu­vent être seule­ment autorisées toute l’année les inter­ven­tions ponctuelles de coupe d’ar­bre sans
cav­ité en l’ab­sence de gîtes poten­tiels pour les chauves-souris et les oiseaux
Les por­teurs du pro­jet ont (i) con­fir­mé qu’ils respecteraient la péri­ode d’in­ter­dic­tion d’a­battage
des aligne­ments d’ar­bres et (ii) assuré que le pro­gramme des travaux ne com­por­tait aucun abattage
d’ar­bres entrant dans le champ de la pro­tec­tion de l’ar­ti­cle L. 350–3 du code de l’en­vi­ron­nement.
3. Aucun élé­ment ver­sé au débat ne per­met de met­tre en doute la réal­ité de l’in­ter­rup­tion de l’a­battage des aligne­ments d’ar­bres.
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