[Espèces protégées] À quel échelon apprécier l’absence de solution alternative ?

Par un arrêt du 31 mai 2024, abon­dam­ment relayé par la presse, la cour admin­is­tra­tive d’ap­pel de Mar­seille a annulé la déro­ga­tion au régime de pro­tec­tion des espèces dont béné­fi­ci­ait la société Boralex pour la con­struc­tion et l’im­plan­ta­tion d’un parc pho­to­voltaïque au sol sur les pentes de la mon­tagne de Lure — Alpes de Haute-Provence (CAA Mar­seille, 31 mai 2024, no 23MA00806).

Pour mémoire, l’au­torité admin­is­tra­tive peut déroger au régime de pro­tec­tion des espèces lorsque sont rem­plies trois con­di­tions dis­tinctes et cumu­la­tives (L. 411–2 du code de l’en­vi­ron­nement) :

  • l’absence de solu­tion alter­na­tive sat­is­faisante,
  • la con­di­tion de ne pas nuire au main­tien, dans un état de con­ser­va­tion favor­able, des pop­u­la­tions des espèces con­cernées dans leur aire de répar­ti­tion naturelle,
  • la jus­ti­fi­ca­tion de la déro­ga­tion par l’un des cinq motifs lim­i­ta­tive­ment énumérés et par­mi lesquels fig­ure le fait que le pro­jet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et soci­aux en jeu, à une rai­son impéra­tive d’intérêt pub­lic majeur (RIIPM).

Depuis la loi APER du 10 mars 2023 et son décret d’ap­pli­ca­tion du 28 décem­bre 2023, les pro­jets de pro­duc­tion d’én­ergie renou­ve­lable dont la puis­sance instal­lée dépasse un cer­tain seuil sont pré­sumés répon­dre à une RIIPM1. Pour les instal­la­tions pho­to­voltaïques, le seuil est fixé à 2,5 MWc.

Dans ce con­texte, on con­state que le juge admin­is­tratif est de plus en plus exigeant con­cer­nant la démon­stra­tion de l’ab­sence de solu­tion alter­na­tive sat­is­faisante2.

1. L’examen de la solution alternative aurait dû être conduit à l’échelon intercommunal

La Cour rap­pelle d’abord la logique suiv­ie par le por­teur de pro­jet pour déter­min­er le lieu d’im­plan­ta­tion de la cen­trale pho­to­voltaïque :

  • Iden­ti­fi­ca­tion, par la com­mune de Cruis, d’une zone de 75 hectares dont elle avait la maîtrise fon­cière et qui lui parais­sait prop­ice à l’implantation d’un pro­jet pho­to­voltaïque au sol sur son ter­ri­toire, dès lors notam­ment qu’elle :
    • per­me­t­tait de n’amputer aucune zone agri­cole,
    • avait fait l’objet d’un incendie en 2004 et que la cam­pagne de reboise­ment con­duite en 2008/2009 n’était pas con­clu­ante,
    • se trou­vait en dis­con­ti­nu­ité des par­ties bâties de la com­mune (mais demeu­rait acces­si­ble),
    • se situ­ait hors de toute aire de pro­tec­tion régle­men­taire ou Natu­ra 2000.
  • Véri­fi­ca­tion, par la société Boralex, de l’op­por­tu­nité d’une implan­ta­tion sur cette zone par rap­port à la carte des enjeux envi­ron­nemen­taux établie à l’échelon départe­men­tal.
  • Sélec­tion, par la société, de la vari­ante la moins préju­di­cia­ble à l’en­vi­ron­nement par­mi les trois empris­es poten­tielles pro­posées par la com­mune dans l’ap­pel à man­i­fes­ta­tion d’in­térêt.

Mal­gré ces élé­ments, la Cour a estimé que le préfet avait com­mis une erreur d’ap­pré­ci­a­tion en esti­mant que le critère ten­ant à l’absence d’autre solu­tion sat­is­faisante était rem­pli. La Cour a notam­ment relevé que :

  • aucune solu­tion alter­na­tive d’implantation du pro­jet au-delà du ter­ri­toire com­mu­nal n’a été recher­chée, notam­ment à l’échelon du secteur de la « Haute-Provence »,
  • alors que la zone iden­ti­fiée par la com­mune n’était pas arti­fi­cial­isée et néces­si­tait l’obtention d’une déro­ga­tion au régime de pro­tec­tion des espèces,
  • le CNPN avait souligné l’existence de plusieurs pro­jets d’installation de parcs pho­to­voltaïques en cours ou à l’étude à prox­im­ité immé­di­ate, ce qui lais­sait penser que des alter­na­tives exis­taient.

La solu­tion retenue par la Cour, qui sem­ble exiger un exa­m­en à l’éch­e­lon inter­com­mu­nal au moins, appa­rait con­testable compte tenu (i) des véri­fi­ca­tions opérées par la société à l’éch­e­lon départe­men­tal et (ii) du choix d’une vari­ante de moin­dre impact à l’éch­e­lon com­mu­nal.

2. Pas de régularisation du vice tenant à l’absence de solution alternative

Sans sur­prise, la Cour con­sid­ère ensuite qu’un tel vice n’est pas régu­lar­is­able (à l’in­star de celui ten­ant à l’ab­sence de RIIPM).

L’ar­rêté pré­fec­toral délivrant la déro­ga­tion est donc annulé. Compte tenu de l’a­vance­ment des travaux, il y a fort à pari­er que la société Boralex se pour­voira en cas­sa­tion devant le Con­seil d’É­tat.

La cas­sa­tion ne sera cepen­dant pas aisée, puisque le con­trôle de l’ab­sence de solu­tion alter­na­tive relève de la dénat­u­ra­tion (tan­dis que le con­trôle de l’ex­is­tence d’une RIIPM relève de la qual­i­fi­ca­tion juridique des faits, qui laisse plus de place à la dis­cus­sion en cas­sa­tion)3.


1. Dans cette affaire, la déro­ga­tion avait été accordée par un arrêté pré­fec­toral du 17 jan­vi­er 2020, de sorte que se posait la ques­tion de l’ap­pli­ca­tion de la pré­somp­tion de RIIPM au pro­jet — voir les arti­cles L. 411–2‑1 du code de l’en­vi­ron­nement et R. 211–1 et suiv. du code de l’én­ergie.

2. Voir notam­ment : TA Mont­pel­li­er, 26 mars 2024, no 2303820 ; CAA Nan­cy, 21 déc. 2023, no 20NC00848.

3. CE, 24 juil. 2019, Société PCE et autres, no 414353 et CE, 15 avr. 2021, no 430500.


Crédits pho­tographiques : For­calquier — Tra­vail per­son­nel, CC BY-SA 3.0


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